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Faut-il vraiment éteindre l’éclairage public en ville ?

  • Aude Grard
  • 27 mai
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 juin


Extinction en ville dense : pourquoi, comment ? Après les extinctions tous azimuts provoquées par la hausse du prix de l’énergie, certaines grandes villes - à l’image de Bordeaux - ont finalement décidé de rallumer. Alors peut-on vraiment éteindre l'éclairage public en ville au regard des usages nocturnes et d'une forme de "droit" à la nuit ? Dans quelles conditions cette démarche a-t-elle du sens ?


Avis d'une professionnelle de la lumière, avec Juliane Hosxe, conceptrice lumière chez CONCEPTO et co-auteure du livre Conception lumière et mise en œuvre des trames noires, publié au Moniteur en 2024.


pont éclairé dans une ville sombre
Seine-Saint-Denis (93) : exemple d'un éclairage sans mât. La lumière est intégrée uniquement dans les garde-corps, la végétation laissée dans l'ombre. Village olympique, éclairage urbain et architectural, Jeux de Paris 2024, France – Solideo – Conception lumière Concepto – Saint-Denis et Saint-Ouen-sur-Seine ©  Concepto

Revenons aux fondamentaux avec une question simple : pourquoi éteindre l’éclairage public en ville ?


Juliane Hosxe : « Tous les êtres vivant ont besoin de nuit, d’obscurité, en alternance avec le jour – faune, flore, comme nous humains, qui faisons partie de la biodiversité. Ainsi, les régions d’Europe du Nord qui vivent plusieurs mois sans voir le soleil se coucher déclarent des problèmes de sommeil, de santé. Chez CONCEPTO, nous avons créé le concept de trame noire à vivre, c’est-à-dire que nous défendons la baisse des niveaux lumineux, l’extinction de l’éclairage public dans certaines conditions, tout en prenant en compte les usages et les besoins humains. Ce principe s’applique partout, même en ville dense ».


pictogramme trame noire de Concepto
Manifeste pour des trames noires à vivre © Concepto

Comment réussir durablement une extinction en ville dense ?


Juliane Hosxe : « Pour parvenir à une extinction de l’éclairage public bien vécue par les usagers et sans retour en arrière, deux points me paraissent fondamentaux.


Concerter.  « Impliquer les habitants : c’est le préalable incontournable à tout projet nocturne. Je ne parle pas seulement de réunions publiques d’information, mais d’ateliers avec les habitants sur le terrain. La démarche de CONCEPTO est de travailler en amont avec les habitants pour construire le plan de la trame noire ensemble : quels sont les usages nocturnes ? Quel est le besoin de lumière sur les différentes rues ? Où peut-on éteindre et à partir de quelle heure ? Quelle rue mettre sur détection de présence ? Sur gradation ? Ce sont les habitants qui fixent le degré d’acceptabilité du sombre, ce sont eux qui connaissent et pratiquent la nuit. Ce qui est récolté en atelier est ensuite généralisé à l’échelle macro pour dessiner la trame noire d’un quartier, d’une ville ou d’une région.

habitants pendant un atelier trame noire
Atelier avec des habitants sur le thème de l'obscurité dans le cadre de l'élaboration de la trame noire et du Plan lumière de la ville de Prilly en Suisse (octobre 2024) ©  Concepto

Avec la hausse tarifaire de l’électricité et le covid, beaucoup de villes ont décidé d’éteindre des quartiers entiers assez brutalement, ce qui paraissait possible en cette période de confinement. Mais lorsque la vie a repris, ces pratiques d’extinction se sont retrouvées en décalage avec les usages nocturnes. À Bordeaux, par exemple, des axes importants reliant les quartiers résidentiels au centre-ville se sont retrouvés dans le noir – ces axes ont fini par être rallumés. La Ville de Bordeaux s’est d’ailleurs depuis lancée dans une réflexion nocturne profonde, puisqu’elle travaille actuellement à la refonte de son schéma directeur d'aménagement lumière (SDAL).


Connaître son réseau d’éclairage public. Beaucoup d’élus et de maires ne savent pas comment fonctionne leur réseau d’éclairage public. Or, en l’absence de technologie de pilotage, les armoires ne permettent pas d’éteindre rue par rue dans un ciblage fin : l’architecture du réseau d’électricité regroupe des lignes de candélabres, parfois sans cohérence. Ainsi, une même armoire peut piloter l’éclairage de petites rues d’un quartier résidentiel et un axe stratégique utilisé la nuit.

Il est donc fondamental de confronter les plans nocturnes avec les services techniques, qui sauront dire si les extinctions prévues sont cohérentes avec la structure du réseau d’éclairage public. En fonction des points de friction, CONCEPTO proposera alors des actions spécifiques, comme d’équiper certaines rues d’un module de pilotage intelligent, la toute première étape étant bien sûr de passer en LED ».


Quelques extinctions inspirantes : quand l'extinction rime avec ambiance.


Juliane Hosxe : « Dans le cadre du SDAL de Plaine Commune, CONCEPTO a proposé d’éteindre l’éclairage public d’un square urbain à Saint-Denis (93) en 2023. Baptisé « obscurothérapie » ce projet nous a permis d’expérimenter la phosphorescence en dessinant une vaste fresque au sol, avec une peinture destinée au guidage routier. Les motifs figuratifs à échelle augmentée sont agencés de manière à occuper pleinement la surface du chemin et créer un parcours ludique, empreint de poésie. Ce projet expérimental est toujours en place : les usagers traversent le square à la nuit tombée. Ce principe va même être généralisé à d’autres squares dans la ville :  preuve qu’il est possible de faire oublier que l’éclairage public est éteint.




CONCEPTO a également conçu l’ensemble de l’éclairage public du village olympique (93) : cet espace qui a accueilli les athlètes au moment des Jeux olympiques est en réalité un écoquartier de 50 hectares, situé au bord de la Seine. Ce quartier a fait l’objet d’une réflexion environnementale très ambitieuse : la trame noire fonde le projet. Dans cette réalisation qui a reçu de nombreux prix, nous avons réussi à faire accepter des niveaux lumineux très bas : 10 lux maximum en voirie et 5 lux sur les espaces piétons. De plus, sur les espaces piétons qui bordent la Seine, un espace de biodiversité nocturne, il n’existe pas de mât. Les points lumineux sont intégrés dans les garde-corps, pour concentrer la lumière sur les cheminements et éviter sa diffusion vers l’eau ».



Pour en savoir plus sur cette réalisation CONCEPTO, rendez-vous sur Lightzoom


Encore plus de projets inspirants ? Prismes vous propose pour finir deux réalisations qui prouvent qu’apaisement des niveaux lumineux peut rimer avec usage nocturne et ambiance lumineuse. Retrouvez le détail de ces projets dans Conception lumière et mise en œuvre des trames noires, paru en 2024 au Moniteur.


Éteindre un pont circulé en centre-ville à Lillle.



En 2018, l'agence de conception 8'18'' propose de supprimer les mâts d'éclairage du viaduc Le Corbusier à Lille : un pont majeur qui relie les deux grandes gares lilloises. Un luminaire est inséré dans la main courante pour éclairer les trottoirs, alors que la voirie ne bénéficie plus d'aucune source lumineuse : depuis 2018, aucun accident n'a été déploré. L’expérience n'est pas anxiogène, puisque le regard, libéré des sources lumineuses hautes, est guidé par les verticalités lumineuses des tours et la silhouette nocturne de la ville. Une réalisation qui montre qu'il est possible d'éteindre d'éclairer moins, même en ville dense.


La beauté au service de l'obscurité, à la sortie d'une gare francilienne.


 

Une imagerie projetée à grande échelle dans le paysage urbain, lorsqu’elle est poétique et esthétique, active l’imaginaire. Il s’agit de désamorcer une crainte de la nuit dans un vaste parc urbain, ouvert toute la nuit.


Le concepteur Marc Dumas a imaginé cette mise en lumière pour le jardin du Centre à Guyancourt (78) qui fait le lien entre la gare toute proche et un parc classé grand paysage desservant des habitations. Le parc est éclairé essentiellement en pourtours, via un éclairage fonctionnel. "Dans l’axe des trajets, l’ombre accueille les images projetées : des pétales de roses lumineux. L’usager devient spectateur d’une scénographie poétique en s’immergeant dans une ombre complice". Cette mise en scène lumineuse qui attire le regard rend possible l'extinction occasionnelle des lumières fonctionnelles des pourtours - ou leur abaissement au minimum d’intensité. C’est aussi l’opportunité d’utiliser l’espace scénique pour un événement ou un moment festif sous les projections d’images de lumière.


 Le jardin du Centre - Guyancourt   / CA de Saint-Quentin-en-Yvelines (78) - 2022

Paysagiste mandataire: Agence François BRUN - Conception lumière : Marc Dumas.

Voir le film de Marc Dumas : Pétales de rose - Éclairage publique / 2023 - 5’

Une chorégraphie de la troupe de danse Bobainko sur les pétales du « Jardin du Centre » de Saint-Quentin-en-Yvelines  


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